Applaudir les jolis points de l’adversaire vous rapportera toujours plus que vous ne le croyez.
Ne croyez pas qu’il s’agit la d’une quelconque marque de faiblesse ou d’une posture chevaleresque dépassée. Dire « bien joué » est tout simplement la meilleure des réactions à avoir quand l’adversaire nous a effectivement surclassé.
Plus subtile qu’il n’y parait, cette petite marque de fair play mérite une analyse plus approfondie.
Des coups qui énervent.
Cela fait déjà une bonne heure que je transpire sur ce court. Le match devient sérieux et les échanges de plus en plus durs. J’ai remporté le tie-break du premier set de justesse 7 points à 5. Nous sommes à trois partout dans le deuxième set. 15-30, je sert une deuxième balle trop courte.
Mon adversaire saisi alors sa chance, se décale et claque un coup droit sur mon revers. Je ne peux que remettre un chop au milieu du court, juste derrière la ligne de service. Le joueur d’en face exploite ma faible réplique d’un coup droit dans la foulée. Il monte au filet. Cette fois j’ai anticipé, je suis sur la balle. Il a joué trop court et ne couvre pas assez vite son coté couloir. Je suis dans la position idéale pour lui plomber un passing de coup droit lifté le long de la ligne à la Rafael Nadal. Le genre de coup que même s’il touche la balle, de toutes façons, il ne pourra absolument rien en faire. Je suis dans un état de confiance et de vigilance qui me rend particulièrement optimiste. C’est alors que mon adversaire se déplie et sort le seul coup que je n’avait pas prévu : une volée amortie rétro, touchée du bout de la raquette. La balle flirte avec la bande et revient vers le filet après avoir mordu la résine de mon coté. Je n’ai rien pu faire à part suivre des yeux une balle décrivant, au ralenti, une trajectoire parfaite. Je suis dans un état qui se situe entre la franche admiration et la frustration la plus totale (15-40).
Je décide alors de proposer à Henri (mon gaucher d’adversaire) un service slicé de droitier dans le coin. Un coup, qui va non seulement atterrir directement sur son revers mais encore le propulser dans les panneaux publicitaires s’il essaye seulement de le toucher. Que nenni, Henri a anticipé mon coup, coupe la trajectoire et gifle un terrible revers lifté dans le coin opposé. Encore une fois, je ne peux qu’être le spectateur d’un coup parfaitement injouable. Jeu Henri.
Je reste béat et complètement hébété, comme KO sur place.
Remerciez le ciel et positivez.
Au lieu de vous maudire, de maudire l’adversaire ou votre matériel, faites preuve de gratitude. Commencez par penser à la chance que vous avez de jouer un match de haut niveau face à un adversaire créatif qui produit un jeu puissant et vif. Vous pourriez vous trouver face à un de ces pourrisseurs d’ambiance qui ne savent faire que distiller des chops mou (c’est presque un pléonasme !) ou des cloches de défense (encore un pléonasme). Contre ce genre d’adversaire c’est plutôt un thermos de café qu’il faut prévoir à la place de la bouteille d’eau. Dans le cas présent, considérez que vous avez la possibilité de capter une énergie ambiante. N’oubliez pas que vous jouez au tennis, le jeu de la réplique et de l’échange courtois. Et pensez que plus terrible et humiliante que fut l’agression, plus franche et plus légitime sera la réponse. Dites “bien joué” et préparez vous à renchérir dans une sorte d’aïkido mental.
Accepter la défaite pour mieux rebondir.
S’énerver ne sert à rien, sinon à gaspiller son énergie et à se priver de l’effet ressort mentionné au paragraphe précédent. Dire “bien joué” permet de mieux accepter la supériorité momentanée du joueur adverse et par la même de stopper le dialogue mental négatif qui aurait pu démarrer à ce moment précis. Non, vous n’êtes pas nul. Vous avez peut-être même joué le bon coup. Seulement votre adversaire s’est surpassé, il a joué un coup inattendu, surprenant ou audacieux et vous devez vous incliner. Dites “bien joué” et vous verbaliserez le deuil du dernier point. Vous êtes à présent entièrement disponible pour vous concentrer sur le point suivant. Si vous connaissez les vertus de la concentration et du pouvoir d’être mentalement ici et maintenant sur le court, vous comprendrez les bénéfices que vous pouvez retirer de ce simple compliment.
Un grain de sable.
Une autre conséquence du “bien joué” à l’adversaire est la réaction de celui-ci. Psychologiquement encouragé par le joueur d’en face à reproduire sa performance, il risque de surjouer et de multiplier les fautes. A trop vouloir retrouver sur deux point identiques, les mêmes sensations, on encoure le risque de sortir de la conscience de l’instant présent. Vivre dans le souvenir d’un joli point ou anticiper le gain du point suivant c’est déja sortir un peu du match.
Last but not least.
Un dernier point, mais pas le moins important : dire “bien joué” vous rendra sympathique auprès de l’ensemble des adversaires, partenaires, public et arbitres du tournoi auquel vous participerez. Et peut-être vous repartirez du tournoi avec un trophée d’un style inattendu.
Bonjour Vincent,
J’aime beaucoup ton article.
Il y a 2 types de frustration en compétition. Celle où l’on perd parce que l’adversaire est trop fort et celle où l’on perd parce que l’on n’est pas en forme et que l’on fait des erreurs idiotes qui nous énervent.
Dans les 2 cas, on peut vivre le moment avec plaisir par l’acceptation de la défaite. Je pense que c’est un point absolument crucial que tout joueur doit posséder pour être un champion.
Bien amicalement,
Dorian
Bonjour Dorian,
Merci pour ton commentaire.
Le tennis est un jeu d’adaptation avant tout. Nous devons sans-cesse nous adapter à notre adversaire, à son niveau de jeu, au type de balle qu’il nous envoie, à son comportement, à sa stratégie…
C’est pourquoi l’acceptation de notre mise en difficulté par le talent de notre adversaire où par nos propres erreurs est une nécessité plus qu’une option. En raisonnant par la négative : fuir cette réalité ne peut résoudre aucun problème technico-tactique sur le court de tennis.
Quant à réussir à accepter la frustration avec plaisir, je ne pense pas que ce soit donné à tout le monde.
Ma recommandation dans les deux cas de frustration que tu décris si bien : sourire.
Cette simple attitude atténue l’amertume du point perdu et facilite la bonne réaction sportive.
Salut Vincent,
En lisant l’article on s’y croirait.
Sur la vidéo, c’est effectivement remarquable, mais je profite qu’on ne me connait pas pour dire que, de façon parfaitement et immensément subjective, je n’aime pas Monfils (Gaêl évidemment).
J’insiste, c’est tout à fait subjectif, mais c’est comme ça.
Pour le système d’applaudir son adversaire, ça roule sauf que quand on a passé tout le match à applaudir et que c’est 0/6 0/6 0/5 il serait peut-être temps de commencer à jouer.
@+
Christian.
Bravo Christian pour ta franchise,
Gael Monfils ne fait pas l’unanimité parmis les amateurs de tennis, c’est sans doute du à son côté showman, fantasque, tête à claque (rayer la mention inutile) qui le déssert parfois. Mais il n’engendre jamais l’indifférence et c’est une qualité qui se fait rare dans le tennis actuel.
On peut bien sûr passer la partie à applaudir l’adversaire, mais il ne faut pas oublier de s’en servir à chaque fois pour se botter les fesses mentalement et réagir.
Néanmoins, il m’est plusieurs fois arrivé de passer la partie à applaudir mon adversaire sans pouvoir rien faire d’autre. C’est aussi ça le tennis !
Merci pour cet excellent article Vincent !
Quoi de mieux que cette vidéo pour l’illustrer ?
La réaction de Djoko sur ce point est consternante. Quand bien même la pression due à l’enjeu pourrait l’expliquer en partie, elle met en lumière le manque de classe de ce joueur. (Je n’aborde pas son jeu pour éviter le hors sujet et l’acharnement…)
Cette attitude que tu préconises devrait être véhiculée par les entraîneurs et assimilée par les joueurs.
J’ai expliqué cela récemment à un jeune d’une quinzaine d’années qui n’en comprend pas l’intérêt et s’énerve habituellement sur les points gagnants adverses. Il arguait que féliciter son adversaire l’encourageait et le renforçait forcément, donc que c’était une attitude perdante.
Je pense que j’intellectualise un peu trop son propos, son avis dénote simplement d’une attitude individualiste propre à sa catégorie d’âge.
En effet, je n’ai pour l’heure pas à déplorer de réactions malvenues sur points gagnants chez des compétiteurs adultes dignes de ce nom.
Je n’ai pas une attitude exemplaire sur un terrain certes (gueulantes et jets de raquette fréquents), cependant flouer son adversaire volontairement ou s’énerver après ses prises de risques fructueuses sont du même ordre : pour moi c’est une honte.
Plutôt que me lancer dans de longs discours, je vais simplement recommander aux profanes la lecture de tes articles traitant du fair-play. Ils sont je pense les plus importants à assimiler pour tout compétiteur qui se respecte.
Félicitations et merci pour ton travail sur ce blog.
Bonjour GJK,
Merci pour ta participation et je te félicite au passage de porter auprès des jeunes la bonne parole du fair-play.
Si beaucoup d’entre-eux sont dubitatifs devant l’attitude qui vise à savoir applaudir les bon coups de l’adversaire, il s’agit le plus souvent d’un manque de maturité doublé d’un manque d’observation.
Si on y regarde de plus près on s’apperçoit que ce sont souvent les meilleurs dans le jeu qui ont les attitudes les plus remarquables. Dire « bien joué », n’est rien d’autre que le plus simple moyen de s’engager sur le difficile chemin de la maîtrise de ses émotions. La performance au tennis démarre par là.
C’est pourquoi, je suis entièrement d’accord avec toi pour que les valeurs du fair-play soit enseigné dès le plus jeune âge et de manière universelle.
Quand à ce cher Novak Djokovic, dont je n’ai pas résisté au plaisir de vous faire partager son mémorable pétage de raquette en finale de Coupe Davis, il se tient quand même plutôt bien sur le court d’une manière générale et on aurait tord d’être trop sévère avec lui. Surtout qu’il a énormément progréssé (lui aussi) de ce côté-la (enfin, c’est quand même vrai qu’il aurait pu applaudir notre Gael Monfils national sur cette vidéo).
Vincent