Je vous raconte dans cet article quatre expériences tennistiques extraordinaires ou j’ai évolué à chaque fois plus d’un set et demi dans ce que les anglo-saxon appellent « la zone », ce fameux point culminant de la performance d’un joueur de tennis que quelque uns d’entre-vous ont peut-être déjà vécu.
Cet état de grâce, on pourrait le décrire par une sensation de facilité, d’évidence, d’être partout et nulle part à la fois. Dans la « zone », on a la faculté de pouvoir se focaliser sur l’unique chose importante du moment sans jamais être perturbé par le reste. Un sentiment d’euphorie parfaitement maîtrisé envahi l’athlète, il est souvent meilleur que le sentiment de la victoire qui le suit presque inéluctablement.
Cet article n’a pas pour ambition de vous donner un mode d’emploi pour atteindre cette forme de Nirvana tennistique, Je serais trop heureux d’en connaître la recette, mais d’essayer de vous retranscrire les quelques moments que j’ai pu passer dans cet état singulier d’hyper-conscience.
J’ai du faire appel pour cela à des souvenirs assez lointains puisque depuis que j’ai repris le tennis, je n’ai malheureusement pas encore revécu ces moments ou alors de manière très fugace le temps de quelques points. Je ne désespère pas de connaître à nouveaux ces sensations magnifiques.
Poitiers 1993, perte de conscience et distorsion temporelle
Ma première expérience, j’étais classé 30/2 (ou 30/3) et je jouais en tournoi (Tennisquash 86 à l’époque) contre un 30/1. Je perds le premier set et je suis mené 5/2. Je me rappelle avoir alors eu la pensée suivante au changement de côté.
Maintenant, Vincent, tu te concentre sur ce jeu.
A ce moment-là, j’ai eu l’impression d’entrer dans une forme de concentration très intense et parfaitement focalisée sur les points que j’étais en train de disputer.
Au moment de tourner, je m’apprête à annoncer le score (5/4 pour mon adversaire). C’est alors que celui-ci m’annonce que je viens de remporter le set 7/5 !
J’ai donc eu une sorte de perte de conscience, puisque j’avais complètement occulté le score. Certains sportifs quand ils évoluent dans la zone, évoquent des phénomènes de distorsion temporelle. Des moments très courts paraissent s’étirer tandis que des moments très longs semblent passer très vite.
Après le gain du premier set je me suis senti très relâché et très bien dans mon corps (bien-être). Peu de temps après, la partie fut interrompu par la pluie et dut se finir en salle sur le domaine universitaire ou je conviais des amis étudiants à venir passer me voir jouer.
Je me rappelle alors avoir remporté cette troisième manche 6/0 (ou 6/1) en jouant un tennis extraordinaire. Je me souviens être beaucoup monté au filet ou j’anticipais parfaitement tous les passings et les lobs adverses. Je mettais toutes mes volées et smash dans le court.
Détail important, je ne me suis pas senti le moins du monde perturbé par mes amis qui étaient venu me voir et qui ont trouvé que je jouais très bien.
Soubise 1995, un tennis d’extra-terrestre
Je jouais lors d’un mach par équipe contre un 15/5, j’étais alors 30/2 ou 30/1. Mon adversaire était très grand et servait très fort. Nous jouions dans une salle sur une surface rapide (ciment assez lisse).
Je me rappelle avoir perdu le premier set 6/2 et avoir eu une pensée du genre
Maintenant, Vincent, tu t’accroche!
Nous avons disputé un jeu très long qui m’a permis de remonter à deux jeux partout dans le deuxième. J’ai bien servi toute la suite du set, ce qui m’a permis d’arriver sans encombre au tie-break.
A ce moment-là, je me suis senti très bien. J’ai remporté le jeu décisif 7 points à 1 et le troisième set 6/0 ou 6/1.
Dans ce troisième set, je me souviens avoir joué très long, avoir fait très peu de fautes (j’avais l’impression que je ne pouvais pas en faire) et surtout d’être toujours parfaitement dans le bon tempo.
Je négociais les balles courtes à la perfection et mes jambes s’adaptaient naturellement à la vitesse de la balle adverse.
Plus besoin de réfléchir, mon corps s’adaptait à tout moment à la situation de jeu. Il ne me restait plus qu’à m’admirer en train de jouer (ça parait narcissique écrit comme ça, mais c’est ce que j’ai ressenti). Un des joueurs de l’équipe adverse a parlé de tennis « extra-terrestre ».
Un rien exagéré, je pense, mais entendre ce genre de parole, ça marque (d’autant plus que ça n’arrive pas souvent).
Tonnay-Charente 1999, un twist magnifique et totalement amoral
Encore un match d’équipe et des circonstances très particulières car j’avais fait de gros excès la veille. J’étais dans un tel état que j’avais mis un sweat à capuche afin que personne ne puisse voir mes yeux. C’est heureusement exceptionnel, mais j’avais donné ma parole à mon capitaine d’équipe (il avait absolument besoin d’un joueur) que je pouvais jouer mon match.
Je perds le premier set 6/1 sans vraiment jouer ni moi, ni mon adversaire d’ailleurs car la plupart de mes balles percutaient les grillages adverses (sans toucher le sol). J’avais quand même réussi à transpirer un peu quand même.
Je me rappelle alors dans le premier jeu du deuxième set avoir réussi un passing de revers court croisé et avoir eu cette réflexion totalement décalée :
C’est bon, je suis réglé
J’ai alors réalisé un véritable festival offensif pour l’emporter finalement 1/6 6/1 6/1.
Ce que je me rappelle c’est de multiples enchaînement service/volée et retour/volée, une anticipation parfaite des passings et des lobs, des volées qui tombaient exactement ou je voulais et d’une bonne quinzaine de revers gagnant frappés le long de la ligne. Pour surprendre mon adversaire, je parvenais à systématiquement retarder à volonté ma frappe de revers. Je voyais mon adversaire anticiper le revers croisé et il ne me restait alors qu’à glisser naturellement ma frappe le long de la ligne en orientant mon tamis de raquette.
Rochefort 2006, douce extase dans le Sunset
Pour ce match, j’étais sur ma deuxième carrière de compétiteur et sur le chemin de ma remontée en troisième série. Mon classement était 30/1 et je disputais la fin d’un tableau de quatrième série. Nous étions en juillet et le tableau se disputait sur terre-battue.
J’avais repris mon activité professionnelle après des vacances bien méritées et je devais jongler avec mes horaires pour pouvoir disputer mes matchs. J’avais réussi à caser quart et demi-finale le même jour et prolongé ce dernier match en cherchant à l’abréger. Comme souvent (voire à chaque fois) qu’on essaye de finir vite un match, on sort du tempo et on finit par sortir du match. Bref je mets deux heures et demie à battre un joueur logiquement moins fort que moi et je dois enchaîner le lendemain une journée complète de travail en magasin (je travaillais à l’époque dans le commerce) et un match à 20h00 (je terminais à 19h30).
Notre finale était programmé sur le court principal et le public était nombreux. En effet à 17h30 avait eu lieu la grande finale qui opposait deux joueurs sud-américain de niveau semi-professionnel et à la remise des prix avait succédé en toute logique le traditionnel apéro de fin de tournoi. La fin d’après-midi était magnifique et une légère brise nous caressait le visage.
J’étais épuisé, mais tellement excité de disputer un match en cette fin d’après-midi idéal, qu’une sensation de bien-être me parcourait le corps. Je crois me souvenir que l’enjeu du match m’importait en fait pas tant que ça, j’étais simplement heureux d’être sur le court.
Ma prestation tennistique fut en tout point remarquable, pas tant au niveau de l’intensité du jeu que de la justesse des coups joués ainsi que de la maîtrise du tempo. Je me déplaçais sur cette terre battue traditionnelle avec la même facilité que si la rencontre avait lieu sur dur, enchainant glissades, allègements et reprises d’appuis en pur terrien. Je trouvais instinctivement la bonne zone, le bon effet de balle, la bonne trajectoire. J’attaquais chaque balle courte avec calme et lucidité et je terminais tranquillement chaque point au filet par une volée facile (ou un smash).
Je me rappelle très bien qu’un des spectateurs (qui n’en était sans doute pas à son premier verre, ni à sa première poignée de cacahuètes) s’était écrié après que j’eu délivré une accélération de coup droit gagnante en toute décontraction.
C’est beau !
C’est exactement ce que je pensais de mon jeu à ce moment-là. Pourtant je ne perdais pas le moins du monde le fil de mon tennis. Ce qui m’arrive normalement quand je me laisse aller à ce type de pensée narcissique et contemplative.
La victoire advint naturellement et, cerise sur le gâteau, sur un coucher de soleil magnifique. La poignée de main fut rapide et mon adversaire qui avait des obligations dut prendre congé sans rester boire un verre, me laissant savourer ma victoire en regagnant seul, dans la douceur de la nuit, mon domicile tout proche.
Si je reviens sur mes trois premières expériences (je mettrais la quatrième à part), et que je leur cherche des points commun, je remarque qu’à chaque fois je suis face à un défi que je choisi de relever. Mon adversaire est mieux classé que moi, ou j’ai perdu le premier set (ou les deux en même temps). Ensuite il y a un moment où je change de mode de fonctionnement au niveau mental. Je passe par un moment où je suis hyper-concentré et complètement focalisé sur les points que je suis en train de jouer quitte à complètement oublier le score. Enfin, je rentre dans une dimension mentale de lâcher-prise ou je joue sans effort et ou je m’observe jouer et aligner les points.
Si vous avez déjà connu cette sorte de quatrième dimension du tennis, je serais très intéressé que vous me racontiez vous-aussi votre témoignage dans les commentaires.
A lire :
Sport Entrez dans la zone par Damien Lafont
crédit photo mise en avant : Not enough megapixels
Moi aussi ça m’est arrivé sur ma meilleure perf (5/6). A l’époque j’étais 15/2, je rentrai exprès d’un déplacement professionnel de Bretagne dans l’Aube pour jouer ce match et je me suis retrouvée sur un nuage. J’avais déjà gagné 2 matchs avant et étais super motivée sur ce match. Tout passait, je faisais ce que je voulais et je m’accrochais sur tous les points. Et j’ai gagné! Le plus important, surtout quand on joue contre mieux classé que soi (et non plus fort) c’est d’aller chercher chaque point. Même si on perd au final, on pourra se dire qu’on s’est battu jusqu’au bout et qu’on n’a rien à se reprocher.
Merci Cécile pour ton témoignage,
On retrouve les éléments du défi que tu a relevé (motivation), des points que tu joues tous un par un (je m’accrochais sur tous les points) et du résultat que tu relativise (même si on perd au final…).
Bravo pour ta perf, que tu vas pouvoir reproduire j’en suis sûr.
Salut Vincent,
étonnantes tes histoires…surtout la première où tu zappes complètement le score!
Tu étais dans ces moments là , sans doute, dans un espèce d’état d’auto hypnose.
Comme tu dis, le savoir est une chose, pouvoir le reproduire de façon régulière en est une autre.
Salutations
Dan
Exactement Dan,
Ca ressemblait à un état d’auto-hypnose.
Tes histoires me font penser à ce que j’ai vécu samedi dernier …
Je n’avais pas joué depuis plus de 10jours (très rare) en tournoi, je perds le 1e set 6-1 (beaucoup de fautes de ma part), une pensée passe par la tête … « Tu peux faire mieux … Montre le !! » Et la je me suis mise à jouer sans réfléchir tout passait, tout me réussissait … Je décidais d’appuyer le service, la balle partait comme jamais, le retour sortait, toutes les amorties passaient, les lobs qui suivaient étaient parfait, les retours de service étaient percutant (beau bruit dans la raquette) et « waouff » chez les qq spectateurs … J’ai enchainé 7 jeux consécutifs, mon adversaire commençait à craquer … …
Puis une autre pensée « ça va s’arrêter … Tu vas faire comment pour gagner ? » Et patatras !!! J’ai perdu le 3ème set ….
Mais pendant ces 7 jeux consecutifs effectivement j’ai perdu toute notion du temps, c’est passé très vite !!! Et sans effort !!!
Un coach qui était présent m’a demandé après … » tu as fait comment pour être dans cet état ? » … Ma réponse « Je ne sais pas ? »
Merci Vep de nous avoir fait partager ton expérience,
Tu as bel et bien évolué dans la « zone » le temps d’un set en jouant un tennis de rêve sans efforts et en ayant eu l’impression que tout cela c’est déroulé très vite.
J’aime bien ta pensée qui déclenche le truc.
Après, le déroulement de la partie me fait penser au fameux set de démonstration que l’on joue complètement libéré après avoir perdu le premier set et avant de se mettre à trembler dans le troisième.
Ca m’est arrivé l’année dernière et dans le troisième mes pensées étaient complètement confuses.
Les matches où on inverse la tendance sont toujours particulièrement délicieux.
Je débute en compétition à 28 ans lors de la Coupe de Vendée (poule) et face à 30/3 j’ai su m’accrocher après avoir perdu le premier set 6/3. Je m’étais blessé 4 jours plutôt lors de ma première victoire en compétition à la cheville. Je ne suis alors pas sûr de pouvoir disputer le match puis après échauffement de donner tout mon potentiel. J’ai des jambes en coton, ça tire et donc un mauvais déplacement. Mes jambes se débloque progressivement, je retrouve de la mobilité et je me dis donne tout on verra si ça tient physiquement. La philosophie a été, je m’accroche, je cours et j’appuie progressivement de plus en plus sur chaque frappe. La bascule a eu lieu dans le 2e set à 4-3 où sur mon service, je dois sauver 5-6 balles de break dans un jeu qui dure 20 minutes avec de long échange et un adversaire qui hausse son niveau. Après cela, il faiblit et je break. Après on entame le super tie-break. Je commets de petites fautes et suis rapidement mené 7/2. A partir de ce moment là, je me relâche et j’impose ma puissance et gagne les 8 points suivant qui me conduisent à la victoire 3-6 6-4 10-7.
Au final, un dur combat de 2h10 où j’ai inversé 2 fois le fil du match, ce qui est particulièrement jouissif.
Bravo pour le blog.
Merci Alex pour ton témoignage,
J’ai bien aimé ton attitude « donne tout et on verra si ça tien physiquement ».
En effet, cela ne sert à rien de partir perdant si on est diminué (fatigue, douleur, manque de préparation) car il suffit quelque fois d’être un minimum appliqué et courageux sur le court pour avoir de bonnes surprises.
Vincent
Tout TDM que je suis, ça m’est déjà arrivé et même très récemment, pour mon premier tournoi alors qu’en avais pas fait depuis de longues années. Aucune pression, aucune attente, aucun stress particulier, j’ai gagné 1 et 4 contre un 15/5 ancien 15/1. Seul hic de ce genre de match : j’avais pas rien à raconter sur mon blog, tout était assez propre.
Je n’ai pas non plus la recette de la « zone » (personne ne l’a) mais la seule chose qui est sûre, c’est qu’on l’atteint quand on arrive à se concentrer totalement sur le jeu et l’instant présent, en oubliant toute notion de résultat. Le plaisir et l’envie de jouer sont indispensables, il faut indubitablement avoir de bonnes ondes, comme tu l’as bien décrit.
C’est rare, mais quand ça arrive, ah putain quel pied !