Adopter le bon comportement quand la balle flirte avec l’extrême bout de la ligne est plus qu’une science, c’est un art.
Et c’est un détail plus important qu’il n’y paraît, vu que la situation peut se retrouver plusieurs fois dans un match. L’implication émotionnelle peut être très forte des deux côtés et on connaît l’importance de la gestion des émotions au tennis.
Le coup du siecle
Roland Garros 1982, la demi-finale entre Mats Wilander (17 ans et 9 mois) et Jose-Luis Clerc vient de s’achever sur un coup droit de l’argentin dans le couloir. Le très jeune suédois se qualifie pour sa première participation à la finale. L’annonce de l’arbitre est à peine audible, mais Jacques Dorfmann après avoir prononcé « jeu, set et match » s’est levé de sa chaise. Les protestations de Clerc n’y changeront rien. Le brouhaha du public qui a pris fait et cause pour Clerc couvre tout le reste.
Il faut tout de même avouer que ce dernier coup droit pris très tôt, particulièrement audacieux en ce moment du match et qui vient de surclasser le pauvre Mats est passé bien près de la ligne. Mats Wilander qui ne s’est toujours pas avancé pour serrer la main de son adversaire, s’obstine les mains sur les hanches a faire non de la tête. Le jeune suedois sur une inspiration géniale prend alors la décision qui va marquer les esprits du tennis pour des lustres. Il demande à l’arbitre de remettre le point à la stupéfaction de son adversaire et du public complètement médusé qui se met alors à l’applaudir à tout rompre. Quelques instants plus tard, Mats remporte la partie pour la deuxième fois.
C’est depuis ce jour là que Mats fut considéré par ses pairs, pendant toute sa carrière de joueur, comme le joueur le plus fair-play du circuit. Pourtant, alors que je viens de revisionner sur ESPN classic sa finale victorieuse à l’US OPEN 1988 sur Ivan Lendl, le constat est loin d’être évident. Mats Wilander même s’il était resté le joueur discret et très correct de ses débuts, avait passé plus de la moitié du match à râler, se montrer grognon et à même contester quelques décisions arbitrales. Son compatriote et contemporain Stefan Edberg incarnait bien plus sûrement que Mats le fair-play et pourtant c’est bien Wilander qui grâce à un geste chevaleresque au bon endroit et au bon moment a gagné ses galons de champion toute catégorie du fair-play.
Le point litigieux : une problématique complexe
J’ai mis plus de 10 ans à comprendre et à intégrer que sur un point litigieux, je vois la balle rebondir à l’endroit A, mon adversaire la voit à un endroit B, l’arbitre voit un impact sur un point C et le public sur un endroit D. Dans le cas ou il y a un arbitre c’est simple, c’est lui qui décide. Mais comme dans 99 cas sur 100, dans le tennis amateur c’est l’auto-arbitrage qui prévaut, il vaut mieux adopter la bonne attitude. C’est pourquoi je vous ai préparé une revue de détail des différentes options qui s’offrent à vous sur les balles limites.
1 je vole le point intentionnellement
Cette technique est très risquée. Avez-vous mesuré ce que vous risquez de perdre si vous êtes pris sur le fait ? Ce ne sera jamais le cas, bien sûr, car au début vous avez le bénéfice du doute. Cependant il faut croire que le carottage de point soit une conduite addictive puisque certains y prennent goût et finissent toujours par être démasqués. Les joueurs à mauvaise réputation, catalogués tricheurs, finissent généralement à errer dans les couloirs des club-house à mendier des partenaires d’entraînement. Les joueurs fair-play ont des carnets d’ adresses remplis de partenaires potentiels, se voient offrir régulièrement des boissons et participent à des tournois sur invitations.
2 je vole le point involontairement
Attention à ce cas de figure s’il se répète trop souvent. On risque alors de se voir catalogué dans la catégorie des joueurs douteux. Je vous conseille alors de vous inspirer des deux maximes grecques de Socrate « Connais-toi toi même » et « Je sais que je ne sais rien ». La vue étant le plus imparfait des sens, il faut prendre en compte l’importance de nos émotions qui modifient parfois notre perception visuelle. Cette balle de l’adversaire, on veut tellement la voir faute qu’on finit par la voir dix centimètres dehors alors qu’elle mord la ligne. Accepter le fait que l’on puisse se tromper et que l’opinion de notre petite personne n’est pas forcement vérité universelle et c’est le début de la sagesse.
3 J’accepte de me déjuger
Dans ce cas de figure (un point important généralement !), J’ai annoncé la balle out avant que celle-ci ne retombe finalement sur la ligne ou avant. Cette situation m’est arrivé plusieurs fois lors de mon passé de volleyeur alors que je courrais après un lob, écumant de rage et la bave au lèvres. Lorsque je m’apercevais de mon erreur, les premières fois j’étais confus et je maintenais mon annonce. J’étais alors à peine sorti de mon adolescence et, par timidité, par peur de paraître idiot j’ai volé quelques points. Il m’arrive d’ailleurs de ressentir un peu de honte en repensant à certain cas précis qui me restent sur la conscience.
J’ai trouvé la parade à ce cas gênant en acceptant tout simplement de me déjuger avec la plus grande sincérité : « oups ! Je te prie de bien vouloir m’excuser, ta balle est bonne ». Cette attitude est toujours très apprécié de la part des adversaires intelligents.
4 Les vertus de la discussion
Les règles de courtoisie au tennis nous encouragent à remettre le point dès qu’il y a litige sur une balle. Je n’aime pas trop le côté systématique de la chose, surtout que souvent tous les paramètres n’ont pas toujours été pris en compte à commencer par la position des joueurs par rapport à la balle. Il m’est arrivé de demander à un adversaire de rejouer un point qu’il avait très certainement gagné. Traversant le terrain à la poursuite d’une accélération le long de la ligne, j’annonçais la balle faute malgré les protestations de mon adversaire qui était pile en face du coup qu’il avait joué. Il m’est arrivé par la suite dans le même cas de figure de chercher sur terre battue, la trace d’une balle dans le couloir alors qu’elle avait blanchi la ligne. L’expérience m’ayant permis de comprendre mon erreur, j’aime évaluer la position des joueurs par rapport à la balle avant de remettre celle-ci.
5 Jouer tout simplement les balles litigieuses
J’ai souvent été étonné par le passé de voir les joueurs de bon niveau (seconde série) qui s’ auto-arbitraient, jouer des balles très limites, voir franchement dehors (5 cm ou plus). Dans le même temps, j’évoluais à un niveau (quatrième série) ou l’approximation dans le jugement des balles était la règle. J’ arrêtais régulièrement de jouer quand les balles flirtait trop près des lignes et ce, même quand les balles de l’adversaire étaient bonnes. Trop content de gagner le point sans trop batailler, je négligeais tout simplement d’envisager ma propre erreur de jugement. L’expérience, encore elle, m’a permis de comprendre un phénomène de réciprocité bien naturel. Si on juge trop sévèrement les balles d’un adversaire, celui-ci va juger vos balles de la même manière. Jouer les balles litigieuse est tout simplement la meilleure manière de créer une bonne ambiance de jeu et de ne pas sacrifier la beauté et la fluidité de la partie à des discussion stériles et puériles.
6 Rendre un point
Il reste ce cas ou le joueur adverse vous crédite d’un point alors que vous savez pertinemment que votre balle est out. J’ai depuis longtemps arrêté de me poser des questions pour être en accord avec mes valeurs et rendre systématiquement le point… sans hésiter.
7 Etre fair-play oui, se laisser manipuler non!
Durant mon adolescence, quand j’ai démarré la compétition sérieusement, ma plus grande angoisse était les conflits avec mes adversaires. Je manquais de confiance en moi et beaucoup des joueurs que j’affrontais en profitaient pour me voler des points, des jeux, des sets…Au bout d’un moment ça m’énervait et ça se concluait souvent par des grosses colères voire des insultes.
Paradoxalement, c’est à partir du jour ou je me suis juré que l’on ne me volerait plus jamais un point que mes adversaires se sont mis à être pour la plupart charmant et d’une grande correction avec moi. Ce qui apparait ici comme paradoxal s’explique aisément par le fait que l’on respecte moins les personne qui manquent de confiance en eux et qui s’affirment moins que les autres. Les arbitres les plus appréciés et les plus aimés par les joueurs professionnels ne sont pas ceux qui sont considérés comme les plus infaillibles, mais ceux qui dégagent la plus grande confiance dans leur jugements. Etre sûr de soi, en accord avec ses sentiments tout en étant ouvert à la vision et au ressenti de vos adversaire est le meilleur moyen de vous faire apprécier et respecter.
En conclusion
J’ai l’impression que l’art de bien juger le rebond des balles qui naviguent près des lignes et surtout de l’attitude à adopter vis à vis de celle ci, se cultive tout au long de sa vie de joueur. Sigmund Freud (père, lui même, de la psychanalyse) disait que l’enfant était le père de l’homme. Le joueur idéal, fair-play, adulte dans sa tête est peut-être le fils de l’adolescent colérique, truqueur, volé et mal dans sa peau qui jouait à sa place quelques années auparavant. Comme pour tout, certains joueurs deviennent adultes très tôt alors que d’autres ne le deviennent jamais.
PS Je ne voudrais pas paraître trop donneur de leçon vu que lors de l’avant dernier match que j’ai joué face à un adversaire au comportement exécrable, j’ai carotté un point sur la balle de match. Le plus troublant c’est qu’une spectatrice qui m’a vu faire m’a donné raison…
Crédit image mise en avant mirsasha (licence creative common)
Coucou mon petit Space toujours agréable de lire tes petits commentaires et de ton passé tennistique. As tu repris la compétition? En attendant de te revoir début aout si tu es dans les parages. Je te fais une bise a toi et a ta petite famille. Bisous Charly!
Bonjour,
Je suis un vieux machin jouant au tennis depuis près de 30 ans.
Classé 15/2 pendant quelques années, j’ai appris seul avec les dossiers de Georges Deniau publiés dans la revue Tennis Magazine. Epoque heureuse où mes jambes me portaient très vite vers le filet, j’apprends à composer avec cette époque-ci et … le mal aux genoux, les contractures du dos, le froid mordant des hivers, le soleil infernal de certains étés mais avec toujours la même envie de jouer et le plaisir que l’on prend à claquer une volée de revers croisée ! J’en viens (enfin) à mon propos, concernant les balles délicates à juger : pour ce qui me concerne, il faut que la balle soit à plus d’1 cm à l’extérieur de la ligne pour que je la déclare faute (je joue sur terre battue); toutes les autres, je les juge bonnes ! Et quand on fait le total des cas délicats en fin de partie, combien y en a-t-il eu ? 5, 6 ? Peut-être 10 ? Est-ce que ce sont ces balles qui on fait perdre le match ? Je n’en suis pas sûr du tout. Et le lendemain (plutôt le surlendemain, faut pas exagérer), je joue avec un partenaire de mon club ou des clubs voisins, trop content de pourvoir toujours m’amuser ! Bon courage pour la suite et merci pour ce blog et les billets de très bonne qualité.
Bravo Jean-Pierre pour cet esprit sportif et intelligent et merci pour ta participation au débat.
Se montrer large plutôt que mesquin est en effet le meilleur moyen d’encourager son adversaire à faire de même et de pouvoir laisser place au Jeu dans le sens le plus noble du terme.
Préférer l’échange de balle à la palabre n’est-ce pas ça finalement être fair-play?
Un billet pertinent et agréable à lire, merci. Je joue seulement pour mon club et tire fierté du fair-play de l’ensemble des joueurs de mon équipe. Il nous arrive bien sûr à tous de commettre des erreurs d’annonce, mais je ne doute jamais de notre bonne foi et, entre nous en match amical, nous nous accordons équitablement les points litigieux. Me tenant très près de la ligne et jouant la balle tôt, même celles tombant 5 cm avant ou après la ligne, j’ai pour principe que le doute profite toujours à l’adversaire, et ça se passe généralement bien en compétitions par équipe, les équipiers regardant le match servant aussi de juge de paix et tempérant les attitudes litigieuses de certains.
Une zone de jeu où il y a souvent des désaccords : le « T » dans le carré de service. Celui qui sert est souvent dans l’axe de la balle, et voit mieux que le receveur si son service est large ou non. Un service pile sur le T ou 1 ou 2 cm à l’intérieur est souvent vu large par le receveur, qui lui, est forcément toujours « désaxé ». Celui-ci peut être de bonne foi, même s’il lui arrive plus que de raison d’annoncer « out » un service « in ».
Bravo Tommy a toi et à ton équipe pour ce superbe esprit sportif. Tu as entièrement raison en ce qui concerne les services sur le T, ils sont souvent annoncé fautes à tort par le receveur. Une discussion cordiale entre les deux parties s’impose, à mon humble avis.