Service cuillère au tennis, génie ou irrespect ?

On constate chez les pros, la recrudescence d’un geste technique contesté : le service à la cuillère. Jugé parfois antisportif ou irrespectueux, il ne l’est pas autant que ça dans les faits, vu son efficacité discutable. Alors, doit-on l’utiliser chez les amateurs ? Romain du blog Tennis Tempête nous apporte ici des éléments de réponse à l’aide d’éléments techniques, tactique, statistiques et ludiques.

Romain Collery est joueur de tennis depuis ses 6 ans. Compétiteur amateur évoluant en 3ème série, il profite du confinement pour se former à la Préparation Mentale et faire évoluer son jeu.

Quand les compétitions ont pu reprendre, il a rapidement appliqué ce qu’il a appris et gagne un classement en 4 mois. Voyant des résultats impressionnants, il décide de créer TennisTempete pour partager ces connaissances. Sur tennistempete.fr, tu trouveras chaque semaine un article sur la tactique ou la préparation mentale pour le tennis.

Bien que réglementaire, le service cuillère est souvent critiqué parce que, d’après ses détracteurs, il ne respecterait pas l’esprit sportif.

Que se passe-t-il avec le service cuillère ?

Il fait couler beaucoup d’encre depuis des décennies, mais surtout, depuis quelques années, il se fait une petite place sur le devant de la scène. Le service cuillère a aujourd’hui de nombreux représentants dont le plus célèbre est l’australien Nick Kyrgios. Mais on retrouve des traces de ce coup dans les tournois du Grand Chelem depuis au moins 1989 avec Michael Chang contre le n°1 mondial de l’époque Ivan Lendl, à Roland-Garros. 10 ans plus tard, c’est Martina Hingis qui le joue contre Steffi Graff. Elle s’était alors attiré les foudres du public parisien. Parce que, le moins qu’on puisse dire, c’est que le service cuillère divise. Il ne respecterait pas “l’esprit sportif”.

Le service cuillère, antisportif ?

©ryan hurril

Si on regarde rapidement la définition de ce qu’est l’esprit sportif, ou le fair-play, on trouve des notions de “conduite honnête”, de “respect de l’adversaire, de l’arbitre, des règles et de l’esprit du jeu” mais également une idée de “traitement généreux des autres dans un contexte sportif”.

Dans le cas d’un service cuillère, est-il possible de ne pas parler d’un traitement généreux pour l’adversaire ? Cela paraît difficile. D’un côté, l’adversaire attend une chose (une grosse première) mais obtient autre chose (un service cuillère) mais, dans les faits, préfères-tu faire face à la première balle de Nick Kyrgios à 230 km/h ou recevoir un service cuillère un peu court ? Dans cette situation, on peut considérer que le service par en-dessous est particulièrement généreux.

Certes, cela peut casser le rythme du retourneur. Mais c’est également le cas de l’amorti alors qu’on s’attend à une balle de fond de court. C’est pourtant complètement réglementaire. Personnellement, je ne peux pas considérer le service cuillère comme antisportif, car il est au contraire particulièrement généreux envers ton adversaire. Et voilà pourquoi.

Est-ce que le service cuillère est efficace ?

D’après les données de l’ATP, Nick Kyrgios gagne 78,5% des points sur sa première balle. Quand son premier service est dans le carré, dans presque 8 cas sur 10, il remporte le point ! Ce qui veut dire que, 8 fois sur 10, quand il tente un service cuillère, il doit gagner le point pour que ce coup soit considéré comme efficace pour lui (si ce coup ne fonctionne que 1 fois sur 2, autant claquer une grosse première). Quand il joue un service classique, la première mission de son adversaire est de remettre la balle dans le court de manière à engager l’échange sans être trop en difficulté. Il est rare que le retourneur renvoie une balle lui donnant 50% de chance de gagner le point. Donc naturellement, Kyrgios commence la majorité de ses points du bon pied quand son premier service passe.

Peu importe qu’il l’attende ou pas, quand Kyrgios tente un service cuillère, son adversaire a plus de chance de remettre une balle permettant d’engager l’échange. Donc, à moins de scotcher l’adversaire sur place, le service cuillère n’est pas efficace pour gagner des points. Là où il a plus d’effet, c’est sur le mental de l’adversaire.

On a vu Kyrgios utiliser le service cuillère contre Nadal à Wimbledon quand ce dernier se tenait à 3 mètres de la ligne de fond, collé aux bâches. Le service a eu l’air d’avoir un petit effet sur l’Espagnol. Mais les joueurs du niveau de Nadal sont intelligents sur le court et comprennent les pourcentages et les statistiques. Ils savent que s’ils renvoient ce service cuillère, leurs chances de remporter le point sur le service de Kyrgios augmentent. Bien plus que sur le service claqué dans une belle zone de l’Australien…

Dois-tu utiliser le service cuillère ?

Évidemment, très peu de joueurs ont la première balle de Kyrgios. Nous, les amateurs, on ne gagne pas 80% de nos points après nos premières et on n’est pas prêt d’y arriver. On est sûrement quelques niveaux en-dessous de l’Australien quand on parle de talent et de capacité à toucher de bon service cuillère. Même si le service par-dessous peut t’offrir un point facile et faire douter ton adversaire, les statistiques disent qu’en général, le coup n’en vaut pas la chandelle.

Est-ce qu’on devrait l’utiliser ? Personnellement, je m’en sers à dose homéopathique (peut-être 1 service sur 15 ou 20 matchs). Un tiers du temps, je le rate et ma balle finit en bas du filet. Les 2 tiers restants se partagent entre 1. Une balle facile pour mon adversaire qui s’empresse de claquer un retour long de ligne inatteignable et ; 2. Un ace qui met mon opposant en pétard et qui me fait me sentir un peu coupable d’avoir gagné un point de cette manière.

Le service cuillère, un jeu d’enfant ?

Le service par en-dessous est le premier coup que l’on apprend dans les écoles de tennis. Il permet d’engager simplement l’échange sur une balle relativement neutre. C’est la raison pour laquelle le service cuillère est considéré par le public et certains joueurs comme un manque de respect : en le jouant, on semble considérer l’autre comme un enfant à qui il faut donner une balle facile pour commencer le point.

Aujourd’hui et depuis l’arrivée de Federer sur en haut du circuit, on accorde une importance bien trop grande à la “belle technique”, celle qui te fait penser que le tennis est facile (j’en parle dans cet article).

Alexander Bublik © si.robi

Mais il faut prendre en compte une chose : le service cuillère n’est pas si simple à jouer. C’est un coup qui requiert de la précision et du toucher. Sans compter le fait que, pour surprendre, tu dois masquer ton geste et ne pas regarder ta cible. Alexander Bublik a dit, en conférence de presse “Faire un bon service cuillère est difficile et je le travaille vraiment. Je ne le fais que sur le côté avantage parce que c’est la position depuis laquelle je peux poser un vrai amorti. […] Je pense que c’est 50% de chance, peut-être 70%.”

Dans une interview pour l’ATP, le joueur kazasthanais a dit : “Le tennis est un sport de gentleman, mais il y a peut-être une place pour nous [les joueurs atypiques]. Pour être honnête avec vous, je les prends au dépourvu parce que, quand leurs adversaires font rebondir la balle, ils baissent la tête. C’est ce qui est arrivé avec Cris Garin [Hambourg 2020].

Et j’attendais qu’il fasse ça. Il a regardé vers le bas et je l’ai envoyé parce qu’il m’a entendu faire rebondir la balle. Il sait que je fais 3 rebonds, puis je prépare, puis je sers. Je fais ça aussi parfois et je me rends compte que si le gars m’envoie la balle, je n’ai aucune chance parce que j’attends qu’il arrête de faire rebondir la balle et après je le regarde. […] Parfois, les gars prennent ça trop au sérieux.

Ils pensent vraiment que j’essaie de les énerver, ce qui n’est pas vrai. Parce que j’essaie d’abord de m’amuser et je me sens très bien quand je le fais et que ça touche la zone. Nous sommes là pour jouer au tennis, pour gagner des matchs et divertir le public.”

Le tennis, avant tout un divertissement

Le tennis, comme tous les sports et comme les jeux du cirque dans l’Antiquité avant eux, ont pour but de proposer du spectacle. Chaque discipline fait appel à des compétences physiques particulières. Pour le tennis, on peut notamment citer la force, la vitesse, l’endurance, la concentration, la coordination, la dextérité ou la capacité d’analyse. Un match n’est rien de plus qu’un point de comparaison entre 2 joueurs sur ces différentes compétences. Dans ce contexte, un service cuillère bien exécuté propose une variation de rythme qui va déstabiliser l’adversaire. N’est-ce pas là une preuve de capacité d’analyse et de grande dextérité ? Sans compter la concentration qu’il faut pour jouer le point suivant et ne pas se laisser enivrer par un point facilement gagné.

Le spectacle, c’est un joueur qui, après avoir imposé un rythme (rebond de la balle, gros premier service), est capable et a la lucidité de proposer de la nouveauté, de créer le doute dans l’esprit de son adversaire. Celui-ci va hésiter sur son prochain placement en retour : “Est-ce que je m’avance au cas où il m’en ferait un autre ? Si je m’avance trop, je ne serai pas en mesure de retourner correctement son service à plat… Je fais quoi ?!”

Patrick Proisy, un joueur professionnel français des années 60-70, comparait le tennis aux échecs : “À mes yeux, le tennis reste un jeu d’échecs. Un point se construit avec la géométrie du court. Et le spectacle doit impérativement redevenir vivant ».”

Le service cuillère aujourd’hui

Roger Federer a déclaré : “Le service cuillère est définitivement une tactique à mon avis. Surtout quand les gars sont dans le grillage au fond. De ce point de vue, tu ne devrais pas te sentir honteux de le tenter. Tu vas juste te sentir idiot si tu le rates de temps en temps”.

Dominic Thiem partage cet avis. Avec une taille moyenne du top 100 (1m86) et du top 10 (1m90) augmentant de génération en génération, la vitesse moyenne du service s’accélère et la position d’attente du receveur recule. Dans ces conditions, le service cuillère devient une arme à part entière pour surprendre l’adversaire et son rythme de jeu. Mais, au même titre que l’amorti, ce n’est pas un coup qui s’improvise si l’on veut s’en servir efficacement en match. Comme tous les autres coups du tennis, il doit être travaillé à l’entraînement.

Et toi, tu as déjà tenté un service cuillère en match ?

Romain du blog TennisTempete pour Blog Tennis Concept

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Posté par Romain Collery

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1 commentaire
  1. Romain Collery de Tennis Tempete 13 novembre 2020 at 12 h 53 min - Répondre

    Je remercie Vincent de m’avoir laissé écrire sur son blog.
    Je trouve ce sujet très intéressant parce qu’il montre bien quelles sont les attentes que nous avons vis-à-vis du tennis, ce sport de gentlemen.

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