Il y a plus de courage que de talent dans la plupart des réussites.
S’il fallait trouver quelqu’un pour illustrer cette citation de Felix Leclerc, Gleb Sakharov serait parfait tant ce jeune homme de 24 ans a su faire preuve de tenacité et d’abnégation pour franchir les étapes qui le séparait de son objectif sportif : devenir un joueur de tennis professionnel.
C’est à la faveur d’un séjour à Nantes que j’ai eu le plaisir d’interviewer ce très sympatique champion régional et d’en apprendre un peu plus sur son parcours atypique ainsi que sur son quotidien de sportif de haut niveau. Gleb nous gratifiera même, à la fin de notre entretien, de quelques conseils pour mieux aborder la compétition.
Transcription texte de l’interview
Vincent Bonnin : J’aimerais bien, pour commencer, que tu nous évoques ton parcours et comment tu as fait pour monter les échelons à partir du moment où t’étais un bon jeune et où tu as commencé à penser que tu pouvais en faire ton métier en tant que joueur professionnel.
Gleb Sakharov : Le joueur professionnel, ça a toujours été dans les pensées de mes parents, dans mes pensées à moi aussi donc… et quand on est arrivés ici il y a – il y a combien de temps déjà ?- il y a onze ans, je n’étais pas forcément dans les tous meilleurs jeunes. On m’a accepté ici au SNUC dès que je suis arrivé ici et j’ai pu faire des entraînements avec les équipes, les équipes jeunes, avec les gars de mon âge donc c’était cool ! Et puis à part ça, de faire des entraînements avec mon père. On a assez rapidement pu acheter un lance-balle et puis travailler avant les cours, après les cours, voilà pour compléter un petit peu les entraînements. En France j’ai découvert ça, il n’y a pas forcément les entraînements tous les jours avec les entraîneurs mais plutôt deux à trois fois par semaine* environ une heure, une heure et demi.
Donc pour pouvoir faire ça professionnellement derrière, j’étais obligé de compléter les entraînements que j’avais avec les entraîneurs ici, par les séances avec mon père. Je n’ai pas pu intégrer le pôle espoir, du à ma situation – je n’étais pas français. Ca c’était un petit peu difficile. Mais bon, ça ne m’a empêché de continuer de jouer, de continuer de faire des tournois, d’essayer de progresser. Et puis voilà, cette pensée de devenir joueur professionnel, ça a toujours été là, c’est le but qu’on s’est fixés quand on est arrivés ici. Donc bah voilà, maintenant j’essaye de bien jouer sur des tournois futurs et des challengers.
Vincent Bonnin : D’accord. Donc ce que je remarque, c’est que quand même, au départ, c’est un projet familial. Tes parents, ton père était joueur de tennis ? ll était amateur ? Il était bon joueur ?
Gleg Sakharov : Ils jouaient tous les deux. Mon père et ma mère jouaient au tennis, ils se sont rencontrés comme ça d’ailleurs sur un terrain de tennis – enfin dans un club où j’ai commencé à jouer à Tachkent. Ils n’avaient pas forcément un très très bon niveau, mais bon, c’étaient des amateurs donc…
Vincent Bonnin : Ils étaient passionnés ?
Gleb Sakharov : Ils étaient passionnés, puis ils m’ont transmis cette envie de jouer et j’ai commencé là-bas. J’ai pu intégrer un très bon club à Tachkent.
Vincent Bonnin : En Ouzbékistan, pour ceux qui ne connaissent pas.
Gleb Sakharov : (rires) Et puis j’ai commencé le tennis environ à six-sept ans. En arrivant ici donc j’avais treize ans. J’ai continué tout simplement.
Vincent Bonnin : Oui donc en fait, tu complétais ta formation, ça c’est très intéressant. Tu as toujours été licencié au SNUC, si j’ai bien compris ?
Gleb Sakharov : Toujours, depuis onze ans.
Vincent Bonnin : Tu avais des entraînements collectifs, tu avais aussi des entraînements individuels avec les profs ? Ou alors c’était ton père qui… ?
Gleb Sakharov : Non je n’avais pas d’entraînements individuels, c’était plus avec mon père. Parce que déjà, au niveau des revenus, on n’était pas super aisés et puis c’était plus facile de faire des entraînements individuels avec mon père parce qu’au début il y avait une petite barrière de la langue. Bon, j’avais quand même de la chance à l’époque c’était Yann Ménager– si je me souviens bien – et Gilles Camisa qui étaient les entraîneurs ici au SNUC et ils parlaient très bien anglais. Donc ça, ça m’a beaucoup…
Vincent Bonnin : ça a bien facilité ?
Gleb Sakharov : ça m’a facilité la chose, ouais. Et puis voilà, à l’époque mon père pouvait m’apporter beaucoup de choses : énormément de rigueur, de son savoir, son savoir tennistique.
Donc voilà il me donnait des cours individuels, lui.
Vincent Bonnin : Qu’est-ce que c’était donc à treize-quatorze ans ta semaine type d’entrainements ? Tu avais combien d’entraînements ? D’abord par équipe avec les autres jeunes et puis tu complétais par… ?
Gleb Sakharov : Ouais, alors je devais avoir des entraînements deux soirs par semaine avec mes potes, on va dire c’était jeudi et vendredi et puis les autres jours c’était généralement le matin à partir de 6h30-7h.
On se levait avec mon père et on venait taper la balle ici. Il me mettait le lance-balle ou alors il me lançait les balles, lui, pendant une heure, une heure et demie. Derrière je partais au collège, donc comme je ne pouvais pas intégrer à ce moment-là le pôle espoir, c’étaient les heures normales. C’était du –je sais plus- (rires) du 9h jusqu’à 17h ou 16h et puis le soir on repartait soit avec mon père soit des entraînements collectifs.
Vincent Bonnin : D’accord donc deux fois par jour ?
Gleb Sakharov : Voilà, deux fois par jour. On travaillait un peu tout : services, volées, les coups de fond courts…
Vincent Bonnin : Beaucoup de répétitions ?
Gleb Sakharov : Beaucoup de répétitions, énormément de répétitions. A l’époque on achetait les boites de balles : soixante, soixante-dix, quatre-vingt balles puis c’était parti quoi !
C’était un peu comme aux Etats-Unis, il se mettait dans un endroit du court et puis on répétait, on répétait, on répétait des gammes à fond, ce qui m’a aujourd’hui donné une certaine régularité dans mon jeu – une certaine rigueur aussi.
Et puis le week-end c’était les tournois quoi ! T’es un peu obligé pour pouvoir monter au classement donc… Et puis comme quand je suis arrivé ici, j’avais toujours des mecs qui étaient meilleurs que moi, j’avais toujours comme objectif, l’envie d’être meilleur qu’eux. Donc j’étais obligé de faire des tournois le week-end.
Vincent Bonnin : D’accord, pour améliorer le classement, pour pouvoir jouer en équipe, avoir une place meilleure… ?
Gleb Sakharov : C’est ça ouais. J’ai commencé équipe quatre, équipe- oh j’ai fait toutes les équipes ! Quatre, trois, deux et puis équipe une aujourd’hui.
Vincent Bonnin : Donc tu n’as pas pu intégrer le pôle France. Pour démarrer, quand tu as commencé vraiment à faire des tournois, des tournois senior, des tournois semi-professionnels, ça a dû être un petit peu difficile ? T’as été obligé de trouver des astuces ?
Gleb Sakharov : Euh… oui. Alors, j’ai toujours eu le soutien de la Ligue. Même si je ne pouvais pas intégrer et qu’ils ne pouvaient pas faire grand-chose vu que je n’avais pas la nationalité encore, mais j’ai toujours eu leur soutien. Et puis à 19 ans-20 ans, enfin en 2009, j’ai pu obtenir la nationalité française et là ça s’est un petit peu débloqué.
Vincent Bonnin : Ca a du résoudre un bon tas de problèmes administratifs ?
Gleb Sakharov : Ouais, pour moi ça a résolu quand même les questions avec la Ligue. Donc là je peux bénéficier d’une aide financière, je peux bénéficier des heures d’entraînements. Mais c’est clair qu’au début ce n’était pas évident, sur des tournois surtout. Bon sur des tournois français c’est quand même un peu plus facile, tu connais plus facilement les personnes, tu te fais plus facilement des amis. C’est quand même un circuit qui est plus facile. Tu viens, tu joues, tu prends de l’argent et puis tu fais des perfs et puis tu t’en vas faire un autre tournoi. Sur des futures c’est un petit peu différent, surtout quand tu commences. Tu connais pas grand monde, tu galères un petit peu.
Vincent Bonnin : T’as été obligé de te déplacer à l’étranger ?
Gleb Sakharov : Pas tout de suite, pas tout de suite. Je suis passé par les Futures en France au début. C’était quand même important de rester en France au début pour pouvoir, premièrement, augmenter mon classement. Je devais être à moins quinze, moins trente. Jouer ce classement là, au début, pour pouvoir ensuite aller sur des tournois à l’étranger. Parce qu’à l’étranger les mecs, ça joue au moins ce classement, donc si en France tu ne peux pas battre ce mec-là, c’est mon avis, ça ne sert à rien d’aller jouer à l’étranger. Donc voilà au début, j’ai galéré sur des tournois Futures en France, les qualifs et puis après, petit à petit, je commençais à passer les qualifs, je passais le premier tour, le deuxième tour… J’ai eu mon premier point à la La Roche-sur-Yon**. Ensuite, au tout début, je suis parti en Roumanie. Ça, c’était un de mes premiers voyages à l’étranger. J’ai pu intégrer directement le tableau final et puis à partir de là, c’était un peu plus facile parce que t’as pas la galère des qualifs.
Vincent Bonnin : Voilà un peu moins de concurrence mais un peu plus d’aventures on va dire ?
Gleb Sakharov : Voilà c’est ça !
Vincent Bonnin : Tu as atteint… quel est ton meilleur classement niveau mondial ?
Gleb Sakharov : Mon meilleur classement c’était 312.
Vincent Bonnin : 312. Bon, c’est le début, tu vas encore progresser ?
Gleb Sakharov : Je vais essayer en tout cas !
Vincent Bonnin : Ecoute, je te remercie pour cet entretien riche. Est-ce que tu aurais trois quatre conseils à donner à mes lecteurs, ceux tout du moins qui auraient envie de s’améliorer ?
Gleb Sakharov : Alors, oui. Je peux donner, se basant sur mon expérience, ma petite expérience on va dire. Sur comment j’ai pu progresser. Bon déjà pour moi la régularité c’est quand même la chose la plus importante, l’une des choses les plus importantes dans le tennis. Si tu ne perds pas l’échange, tu ne perds pas le match tout simplement. Donc, il faut être quand même assez régulier dans ce que tu fais. Ensuite, être toujours motivé sur un terrain de tennis ! Montrer à son adversaire qu’on n’est jamais- même dans les situations les plus difficiles, qu’on est là.
Vincent Bonnin : Voilà, même quand ce n’est pas vrai.
Gleb Sakharov : Même quand tu galères, même quand ce n’est pas facile, même quand tu perds.
Vincent Bonnin : Il faut se persuader soi-même qu’on est motivés ?
Gleb Sakharov : Oui et puis le langage du corps, quand même est assez important. Pas baisser les épaules, pas le regard dans le vide, pas… voilà montrer qu’on est là tout simplement. Enfin c’est pour ma part quoi, j’essaye de pas m’énerver sur un cours de tennis, parce que tu gaspilles pas mal d’énergie et t’énervant et puis c’est une…
Vincent Bonnin : ça donne de l’énergie à l’adversaire ?
Gleb Sakharov : ça donne de l’énergie à l’adversaire. Si ton adversaire te voit s’énerver, forcément il commence à se dire « Bon bah voilà ce que je fais ça l’énerve un peu donc je vais continuer » donc, ne pas donner des indications… Voilà ça c’est les trois petits conseils que je peux donner, après les conseils techniques, je ne vais pas me lancer là-dedans (rires) parce qu’il y en a énormément !
Vincent Bonnin : C’est au cas par cas en fait, il faut trouver de bonnes personnes pour bien se faire conseiller ?
Gleb Sakharov : Bien sûr, bien sûr. Mais après, enfin pour moi, avec le tennis d’aujourd’hui, la technique ce n’est pas ce qu’il y a d’important. Je vois quand même des mecs avec une technique qui est pas forcément ordinaire, pas une super belle technique mais juste avec leur envie de gagner, avec leur attitude et leur connaissance de leur jeu, ils peuvent très bien jouer, ils peuvent arriver à un très bon niveau. Donc pour moi la technique, c’est quand même secondaire. Pour moi c’est vraiment l’attitude et puis se persuader dans la tête que tu peux gagner et puis de rien lâcher quoi !
Vincent Bonnin : écoute Gleb, je vais te remercier très sincèrement et très chaleureusement pour l’interview que tu viens de nous donner et puis je te souhaite vraiment bon courage et bonne chance pour les tournois futurs et ta reprise!***
Gleb Sakharov : Merci beaucoup, ça m’a fait très plaisir !
Si comme moi, vous avez été charmé par l’histoire peu commune et la personnalité de Gleb Sakharov. N’hésitez pas à laissez un commentaire en dessous.
* Dans l’enregistrement audio en entend Gleb dire deux ou trois fois par jour, il faut naturellement comprendre deux ou trois fois par semaine pour les entraînement organisés par les clubs pour les meilleurs jeunes, ce qui est amplement suffisant pour la plupart d’entre eux.
** Quand Gleb parle de premier point, il s’agit de premier point ATP. Point qui permet de figurer au classement international des joueurs de tennis professionnels.
*** Au moment de cet interview, Gleb avait été contraint de s’arrêter plusieurs longues semaines à cause d’une blessure sérieuse à la cheville. Il reprenait alors tout juste le chemin de l’entraînement.
très intéressant! C’est un jeune prometteur! Bravo pour ta citation de Félix Leclerc….
Un grand merci pour cette interview. Beaucoup de maturité chez ce jeune joueur à qui l’on souhaite une belle progression.
Merci Vincent.
Super interview ! surtout que c’est un joueur au parcours atypique. Ça fait quelques années déjà que je suis ses résultats. Sa blessure la freiné dans sa progression. Mais je suis certain qu’avec son mental et son expérience il va revenir encore plus fort ! c’est ce que je lui souhaite
Merci pour ton travail c’est ça la passion
Merci Laurent pour ton commentaire,
J’ai senti chez Gleb une grande détermination à s’améliorer pour pouvoir atteindre la plénitude de son potentiel d’ici quelques années.
C’est pourquoi je suis convaincu comme toi qu’il va revenir encore plus fort.
Merci pour cet excellent témoignage ! La route vers le niveau pro est périlleuse … En tant qu’amateur on peut tout de même s’inspirer de la détermination et de l’investissement personnel dont il faut faire preuve pour progresser à tous les niveaux.
Merci Moussache,
C’est quand on voit la volonté, la détermination et la passion dont il faut faire preuve pour accéder au niveau pro, que l’on peut, au niveau amateur, être un peu plus exigeant avec soi-même que l’on est habituellement.
Bonjour Vincent,
Merci pour cet excellent interview.
Ce joueur (que je découvre grâce à ton article) confirme ce que j’ai appris en théorie et que j’applique au quotidien pour mes propres projets.
La base de la base pour progresser, c’est la répétition, encore et encore.
Et la notion d’attitude sur le terrain, avec le langage du corps.
2 citations d’un de mes mentors :
> « Je n’ai pas peur des 10000 coups que tu connais et que tu n’as pratiqué qu’une fois, j’ai peur à en mourir du seul coup que tu connais et que tu as pratiqué 10000 fois ».
> « Quand l’attitude est juste, les faits ne comptent pas ».
Je souhaite beaucoup de réussite à Gleb !
Vis une merveilleuse journée.
Maxime
Merci Maxime et content que mon interview t’ai plu.
Si la répétition et l’attitude sont primordiales à un haut niveau (et à tout niveau d’ailleurs), Gleb souligne aussi l’importance de la connaissance de soi dans la performance sportive. Trois qualités qui relèguent la qualité technique des joueurs à un niveau secondaire !
« Je vois quand même des mecs avec une technique qui est pas forcément ordinaire, pas une super belle technique mais juste avec leur envie de gagner, avec leur attitude et leur connaissance de leur jeu, ils peuvent très bien jouer, ils peuvent arriver à un très bon niveau »
Salut Vincent,
Donc, en étant 44ème joueur français on peut gagner sa vie en jouant au tennis.
Et si c’est pas indiscret 🙂 ça gagne combien un joueur professionnel de ce niveau?
@+
Christian.
Merci Christian pour ta question,
Oui, il est possible de gagner sa vie en jouant au tennis en étant 44eme joueur français. Il faut quand même avouer qu’à ce niveau là c’est très limite et que Gleb est très loin de gagner des fortunes sur le court.
La principale problématique d’un joueur du niveau de Gleb est d’équilibrer ses dépenses et ses gains en tournoi. C’est pourquoi il dispute régulièrement des tournois de club ou il va ramasser quelques centaines d’euro à chaque fois, dans le but de financer ses incursions dans les tournois internationaux où il ne va rien gagner à moins de les gagner (ou d’aller très loin dans les tableaux).
L’objectif sportif de Gleb, en disputant les tournois internationaux (apellé futures), est d’intégrer le circuit des tournois challengers (catégorie supérieure) puis de disputer les grand prix (catégorie reine).
Un joueur pro qui se maintient dans le top 100 parvient à équilibrer son budget et les spécialistes s’accordent sur le fait que le tennis ne devient réellement très lucratif qu’a partir de la 50eme place mondiale. (meilleur classement de Gleb : 314)
Je ne peux donc que très difficilement répondre à ta première question sur le montant de ce que rapporte le tennis à Gleb, sachant que c’est très variable et qu’il y a de nombreuses périodes dans l’année où il paye pour jouer.
Salut Vincent,
Très content de voir que t’as reussi à mettre sur ton site notre interview.
C’était un plaisir de te rencontrer et faire partager avec toi et tes lecteurs ce que peut être la vie sur le circuit.
Je suis très heureux de pouvoir lire toutes les choses positives ce que tu dis sur moi et la reaction des gens et pour ça je te remercie.
Continue comme ça, ton site est super et très complet.
Et juste pour repondre a « Christian de Destresse Marketing », sur le circuit sur lequel je tourne, je ne gagne rien, tout ce que je peux ramasser sur les tournois, je le reinvestis dans la semaine suivante (deplacements, vols, nourriture…).
Et encore une petite parenthese, j’ai un blog, dans lequel je raconte ma vie sur le circuit, pour ceux et celles que interesse 😉
http://glebsakharov.com