Comment et pourquoi le tennis m’a rendu fou par Tennisman de m…

Le tennis est le sport de raquette le plus complet et le plus difficile techniquement, c’est aussi l’un de ceux où l’on commet le plus de fautes. Si on ajoute le fait que c’est un des sports ou l’on a le plus de temps pour cogiter entre deux actions, on obtient un terreau propice à la prise de tête permanente. Dans le texte qui suit, l’auteur du blog tennismandemerde nous raconte comment il change de personnalité dès qu’il dispute un match sur le court. Pire que ça, il s’avère que la pratique régulière du tennis engendre chez lui des comportements décalés en dehors du court. Catalogue de situations vécues par bon nombre d’entre nous.  

©Ben Goodnight

 Tennisman de merde (c’est un pseudonyme) a beaucoup joué en compétition dans sa jeunesse, jusqu’à atteindre (aux forceps, selon ses dires) un niveau honnête de milieu de troisième série. Après une interruption de plusieurs années qui lui a permis de retrouver l’équilibre mental nécessaire à une reprise en douceur, Tennisman de merde prend sa plus belle plume pour nous narrer ses aventures de joueur amateur.

Vous l’avez déjà entendu : le tennis est un sport qui rend fou. Ou, petite variante, le tennis est un sport qui rend con. Fou et con, je ne sais pas si je le suis dans la vie, mais je confesse l’être assurément sur un terrain de tennis – moins qu’avant, mais quand même… -, ceux d’entre vous qui connaissent mon blog n’en doutent plus vraiment.
La folie du tennis… On pourrait disserter pendant des heures sur les causes de cette pandémie qui promet de toucher inexorablement tous ceux qui s’aventureront un jour à tenir une raquette, particulièrement en compétition. D’autant que lesdites causes sont multiples. La plus importante d’entre elles réside, selon moi, dans la nature même de ce sport en permanence lié à l’échec, pour ne pas dire synonyme d’échec. Je m’explique. A l’inverse du footballeur ou du coureur à pied, par exemple, qui jouent ou courent pour atteindre une sorte d’eldorado orgasmique après lequel plus rien ne compte (le but, ou la ligne d’arrivée), le tennisman, lui, joue pour échapper à une mort (quasi) certaine. Il est comme le Pac-Man poursuivi par les gloutons : il court, il ruse, il se planque mais il sait bien que tôt ou tard, à un moment du « game », il va se faire bouffer. Au détour d’un point le guette la faute, au coin d’un match l’attend la défaite. Même pour celui qui s’appelle Djokovic ou Federer, la majorité des tournois s’achèvent sur une note amère. Et tous les matches produisent leur lot de déchets, plus ou moins élevé.

A la recherche de l’impossible

©Srinayan Puppala

De fait, le tennis est un sport de contraintes où votre corps, et l’espèce d’instrument à cordes qui en est le prolongement, sont des pièges. Des obstacles sur la route de la perfection. Ils vous enferment dans une sorte de carcan à l’intérieur duquel vous vous débattez comme un beau diable pour atteindre un but que vous n’atteindrez jamais : ce but, c’est votre niveau de jeu idéal, fantasmé, celui dans lequel vous alignez les aces, les ogives en coup droit et les tweeners de « ouf », constellés de « Vamos », de « Komm Jetz » ou de « Davaï », sous les applaudissements d’un public en délire, l’œil amoureux de la fille la plus bonnasse du club (ou le mec, hein, le tennis n’a pas de sexe) et le regard bienveillant de votre paternel qui ne vous a pas assez valorisé à votre goût dans votre enfance, ou de votre mère qui va enfin comprendre l’intérêt de ce sport dont elle n’avait absolument rien à faire jusque là.

Une majeure partie du temps à non-jouer

Et vous savez le pire dans tout ça ? C’est qu’on a trop le temps de penser à ces choses là pendant qu’on joue au tennis, sport où l’on ne doit finalement pas consacrer plus 10 ou 20% de temps effectif à taper dans la balle, le reste du temps étant passé à ruminer ses sombres pensées seul dans son coin. C’est, là encore, une différence fondamentale avec des sports comme la course ou le football où il y a une durée (de temps ou de distance) établie durant laquelle vous produisez votre effort sans relâche (sauf si vous êtes Messi et que vous passez 30 minutes à compter les brins d’herbe le long de la ligne de touche avant de vous réveiller subitement pour enchaîner petit pont, aile de pigeon et coup du sombrero avant de marquer le but de la gagne).
Bon, on continue la séance ou vous avez compris à quel point le tennis est un sport de psychopathe ? Et jurez que ce n’est pas vrai, que vous n’avez jamais eu la moindre pensée bizarre pendant un match, que vous prenez du plaisir même ces jours où, plombé par des parasites intérieurs nés du fin fond de votre psyché inconsciente, votre timing en perd son latin au point que vous ne débitez plus un revers du match ? Je ne vous croirais pas. Moi, en tout cas, je ne suis pas comme ça. Même si je ne connais pas précisément toutes les causes de ma maladie – celles que je vous ai exposées plus haut ne sont que théoriques, pas autobiographiques -, j’en connais au moins les symptômes. Je suis fou (mais je me soigne), parce que :

Je me transforme sur un terrain

©Delmo Dela Cruz

Dans la vie, je peux passer pour un mec plutôt calme, posé, voire réservé. Sur un terrain de tennis, je deviens vite disons euh… un peu plus expressif. Et pas toujours dans le bon sens du terme. Il m’est arrivé d’avoir pendant des matches des comportements infects et même à la limite de l’inexcusable, au niveau du vocabulaire utilisé comme du degré d’arrogance affichée. C’est là qu’on entre dans un cercle étrange. Lorsqu’un de mes adversaires a le même comportement, je vais avoir tendance à le cataloguer comme un gros con. A mon sujet, je fais preuve de plus de clémence car je connais les circonstances de mon égarement : stress exacerbé, problème personnel, niveau de jeu indigne, envie d’être ailleurs, etc. On dit qu’on est sur le terrain comme dans la vie. Il y a une part de vrai, mais, à mon avis, aussi une part de faux. Je retiens cette phrase que m’a dite un jour un pote de club (classé 30/4, comme quoi pas besoin de jouer l’acier pour être un bon philosophe de la balle jaune) : « Le tennis fait ressortir ce qu’il y a de pire en l’homme. »
Je ne pense pas être le seul à me transformer sur un terrain. Rappelez-vous d’Arnaud Clément, un mec qui semble adorable et qui pourtant était paraît-il exécrable avec les ramasseurs de balle. Idem pour Benoît Paire, paraît-il extrêmement sympa et décontract’ dès qu’on lui enlève cette foutue raquette des mains. Même Rafael Nadal n’est pas le même dans la vie, où il est selon ses proches à la limite de la timidité, alors que sur le court, il devient cette espèce de bête féroce assoiffée de sang et bourré de tics. Le tennis rendrait-il schizophrène ? Non : ces comportements « déviants » ne sont qu’un exutoire au stress intense généré par ce sport.

J’ai des comportements psychologiquement anormaux

©Michelle Arellano

Histoire vraie. Un jour, alors qu’on se promenait tranquillement dans la rue, ma compagne se figea et me jeta un regard noir : « Eh mais ça va pas bien ?!! », me lança-t-elle d’un air effaré ? Le pire est que je ne comprenais rien à sa stupeur. En fait, je venais sans m’en rendre compte d’effectuer un magnifique coup droit à blanc, en plein centre-ville, en plus à une heure de forte fréquentation. Attention, hein, par un vulgaire petit fouetté du poignet façon pongiste. Non, un vrai coup droit de tennismen, avec tiré du coude à l’armé, « topspin » en fin de geste et amplitude du geste à l’accompagnement. Malheureusement, personne n’a semblé admirer ma belle technique, et surtout pas ma compagne…
En tant que tennisman, j’ai occasionnellement d’autres comportements qui peuvent sembler psychologiquement anormaux pour le commun des mortels : par exemple, je peux me shooter à l’odeur de balles neuves ou au bruit d’une boîte qu’on décapsule. C’est grave, docteur ?
Par ailleurs, je parle un langage incompréhensible sans même y faire attention. Un mec qui vous regarde d’un air déconfit et qui vous dit : « je sentais rien, j’ai fissuré grave, j’ai pris deux bulles et du coup j’ai rappliqué en vélo », vous en penserez quoi ?
Enfin, last but not least, j’ai moi aussi mes tocs : je choisis toujours mes balles avant de servir (en prenant soin de ne jamais prendre la balle avec laquelle je viens éventuellement de gagner le point), je tapote sans cesse la bande du filet avec la tranche de ma raquette ou la ligne de fond avec le sommet de mon cadre. Sur terre battue, comme tout le monde, je frappe violemment mes semelles de chaussures pour en faire tomber l’ocre. Ça, c’est comme quand saupoudre sa queue de billard avec le petit pot de craie bleue : ça sert à rien, mais ça fait pro.

Je perds tout sens commun quand je parle de tennis

©hypersapiens

De là à dire que je suis mythomane, n’exagérons pas. Mais il m’est souvent arrivé (plus jeune surtout, aujourd’hui moins, mais ça m’arrive d’avoir des petites rechutes) de déformer la réalité en parlant de mes matches. Disons enjoliver la réalité. Mes perfs sont plus belles, mes contres moins spectaculaires, mon potentiel bien meilleur qu’il n’est vraiment. Quant à mes analyses de matches… Elles ont pu, parfois, frôler le niveau intellectuel d’une discussion d’urinoir en boîte de nuit à 4h du mat’. J’ai des circonstances atténuantes. Ce n’est pas moi qui déforme la réalité. C’est souvent la réalité qui m’apparait déformée. Le tennis semble être un sport qui rend votre cerveau plastique et votre mémoire sélective : d’un match, parfois, vous vous rappelez d’un let chanceux ou de ces deux balles de break vendangées de votre part. Et vous leur attribuez la responsabilité de votre défaite (« ah, si j’avais mené 3-1 au 2è set, j’aurais pu renverser le match car je le sentais fatigué… ») en occultant les 15 points gagnants que votre adversaire a frappé en plus au total du match. En oubliant aussi le « chaaaatttte !!! » monumental que vous avez hurlé sur ce let fatidique. Mais c’est un autre sujet…

J’ai un comportement « addict’ »

Le tennis est entré dans ma vie il y a longtemps : j’ai essayé de l’en chasser, il est revenu par la fenêtre, occupant une place parfois envahissante dans mon esprit. Pourquoi envahissante ? Parce que, confessons-le : si le tennis n’est qu’une aimable distraction pour les « autres », pour moi, il conditionne beaucoup de choses. D’un match gagné ou perdu dépend parfois mon humeur pour la journée, voire pour le week-end. Surtout, c’est une prise de tête permanente. Comment faire pour améliorer mon coup droit, pourquoi je ne sens rien sur ce foutu revers… ? Le tennis est cramponné comme une sangsue à mon cerveau ! A la louche, j’estime qu’il occupe 20 à 30% de mes pensées quotidiennes (parfois plus quand je travaille dessus comme à l’instant présent !) : bien plus que la liste des courses à faire ou autres questions existentielles sur les origines de l’espèce humaine ! Je me demande même si j’accorde autant de temps de pensée à ma famille, c’est dire à quel point c’est grave.
Et ne parlons pas du temps que je passe à suivre, accroché à mon i-Phone ou pendu devant ma télé, les différents résultats du circuit. Quand on est en période de Grand Chelem, ça dépasse l’entendement. Monfils a gagné ? C’est cool, j’ai la banane. Nadal déclare forfait à Roland ? Merde, une journée pourrie s’annonce.

S’il vous plaît, pourriez-vous me donner le nom d’un thérapeute qui saura me faire décrocher ?

Tennisman de merde pour Blog Tennis Concept

Vous avez fait pire? Vous êtes encore plus barrés que ça sur un court? N’hésitez pas à nous confier vos plus mémorables pétages de plombs dans les commentaires. Tennisman et moi seront ravis d’échanger avec vous.

Crédit photo en tête leandroid

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5 commentaires
  1. max021231 13 avril 2017 at 19 h 33 min - Répondre

    Bel article!
    On peut faire aussi un beau paragraphe sur les « fausses excuses » avec entre autre : le vent, la tension 0.2 kg trop basse qui a fait sortir la balle de match de 10, le terrain « pourri », le filet trop haut, le changement d’heure, les balles pourries, le jeu de merde de l’adversaire qui fait que des ronds, la copine qui part à 5/5 au 1er set ( quand elle est là) , et j’en passe ! lol

    • Vincent Bonnin 10 mai 2017 at 22 h 13 min - Répondre

      Merci Max pour ce commentaire et cette excellente idée du catalogue d’excuses. On peut considérer que certains joueurs sont même passé pro, dans cet exercice particulier.

  2. Pascal 8 mai 2017 at 13 h 53 min - Répondre

    Je n’avais jamais vu le tennis sous cet angle. Merci pour cette publication. Pour moi, c’est simplement un des plus beaux sports qui existe et j’adore le pratiquer avec mes amis et participer à quelques compétitions dans ma région.
    À bientôt

  3. Tennisman de merde — 25 août 2019 at 8 h 32 min - Répondre

    […] c’est ma pomme qui l’avais expliqué dans un article écrit pour Blog Tennis Concept. Le problème du tennis, c’est que tu n’es jamais dans la réalité, toujours dans le fantasme. […]

  4. Tennisman de merde — 8 septembre 2019 at 10 h 50 min - Répondre

    […] t’as vite fait de te faire des nœuds au cerveau tout seul (à ce propos, je t’invite à relire cet article que j’avais eu l’honneur d’écrire pour l’excellent Blog Tennis Concept). Voici un petit lexique de ces pensées typiquement perturbatrices qu’on peut avoir, joueur […]

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